bonaventure

paroles et musique : JOFROI
extrait de "bienvenue sur la terre" retour au CD
tous droits réservés © JOFROI

Ils sont une petite vingtaine, ils ont tous choisi un pays, un nom... Rachel, Markar, Julien, William, Yaël, Marie, José, Yann... Ils jouent à qui sera le meilleur. Et chaque jour, ils se retrouvent pour se mesurer. Evidemment, ils se regardent de haut, se tirent la langue, se traitent de tous les noms ! Poule mouillée, chameau, cochons, tête de singe, pipi de chat... Des noms d’animaux, bien sûr ! Comme s'ils savaient pas d'où l’on vient. Ils sont repartis en courant comme des furies.
Elliott les regarde filer et tourne la tête. Quelqu’un, un peu plus loin, a tout vu et tout entendu. C’est le promeneur de tout à l’heure. Curieusement, il ramène à lui patiemment un long fil qu'il tire de l'eau, comme un pêcheur qui remonterait son filet. De temps en temps, il fait un nœud sur son fil et tire un petit coup sec pour bien le serrer puis il l’enroule en petite boule dans son poing qu’il range dans un panier.
- J’ t’avais pas vu revenir, qu'est-ce que tu pêches ?
- Re-bonjour, Elliot. Je t’ai pas tout dit tout à l’heure. En fait, je m’appelle Bonaventure, on m’appelle aussi « La Mémoire ». Qu’est-ce que je pêche ? Je ne pêche pas, ce fil... c'est le fil du temps, la mémoire...
D'un petit coup sec, il vient de faire un autre nœud sur le fil.
- Tu te demandes ce que je fabrique. Ce sont des repères, pour me souvenir. Une sorte de calendrier. C’est bien utile, les souvenirs, ça sert à ne pas refaire les mêmes erreurs, enfin, ça devrait. Mais je suis en retard, tout va de plus en plus vite. Tu vois, si on dit que chaque nœud représente une journée, après un moment, ça fait une année. Et ça fait une petite boule. Quand j'ai cent petites boules, cent ans, je les range dans ces petits paniers.
Elliot se rend compte tout à coup qu'il y a autour d’eux plein de petits paniers puis de plus gros, et d'autres, et d'autres encore à perte de vue.
- Quand j'ai dix petits paniers, je les range dans un gros. Dix fois cent égalent mille, mille ans ! Hé oui ! Sais-tu que s'ils étaient bien rangés, mètre par mètre, bien serrés, les uns contre les autres, au bout de la plage, à un kilomètre d’ici, toutes ces boules de fil rattachées l’une à l’autre, représentent un million d'années ! Viens, tu vas voir.
Bonaventure lâche son fil doucement et tout en avançant entre ses paniers qu'il frôle de la main, il raconte :
- Ça fait rêver, non ? 1000 ans, 2000 ans, 5000 ans, 10000 ans, l’histoire de l’humanité. L'âge du fer, l’âge du bronze, les débuts de l'écriture... « je vous écris un petit mot», de l'agriculture, « qui veut des carottes, qui veut des navets ! »...
Il va de plus en plus vite, au milieu des paniers, en dansant presque.
- Allez, on recule, on recule dans le temps... 15000, 30000, 40000 ans, les premières peintures sur les parois des grottes, et on recule toujours plus loin, 100.000 ! 300.000 ! 500.000 ans ! Le moment où les hommes apprivoisent le feu du ciel... en soufflant sur quelques braises. Tu te rends compte. Le monde bascule : « Vous auriez du feu ? » « Venez vous réchauffer ! »
500.000 ans ! Et on n’est qu’au milieu de la plage... Là-bas, tout au bout de l'autre plage, je te dis que le fil atteint 2.000.000 d'années, les premières traces des premiers hommes... Mais on peut longer la côte comme ça pendant des kilomètres et des kilomètres, si on veut. Et trouver sur ce fil imaginaire, le moment ou apparait le singe, et cinq fois plus loin, le temps où s’envolent les premiers oiseaux. Cinq fois encore, à 500 kilomètres d’ici, il y a cinq cent millions d’années, l'époque où la vie qui, jusque là, n’existait que sous l’eau, l’époque où la vie est sortie de l’eau et s’est répandue sur la terre.